Découvrez les différentes cosmogonies et mythologies des plus grandes civilisations du monde


lundi 2 mai 2016

MYTHOLOGIE NORDIQUE - LA COSMOGONIE NORDIQUE

Niflheim & Muspellsheim

La cosmogonie nordique est racontée dans l'Edda poétique, plus précisément dans le poème de La Voluspa, ainsi que dans l'Edda en prose (La Gylfaginning). C'est donc fort logiquement à partir de ces deux sources que je vais vous raconter la création du monde selon la mythologie nordique, agrémentée par des strophes d'autres poèmes par ci par là. Et autant vous le dire tout de suite : c'est tout bonnement passionnant !!

Je tenais à vous recopier tout d'abord les premières strophes de la Voluspa ("Prophétie de la voyante") pour vous mettre un petit peu dans l'ambiance. Éteignez les lumières, allumez quelques bougies, engouffrez-vous dans votre couverture la plus épaisse, et lisez-donc ceci. Voici le dieu Odin demandant à la prophétesse de lui raconter la création du monde :

1.
Silence je demande à tous
Les êtres sacrés,
Petits et grands
Fils de Heimdall [Les hommes]
Tu veux, Valfodr [Odin], que moi
Je révèle
Les anciens récits des hommes,
Les plus reculés que je me rappelle.

2.
Je me rappelle les géants
Nés à l'origine,
Eux qui, il y a bien longtemps,
Me mirent au monde ;
Neuf mondes je me rappelle,
Neuf étendues immenses
 Et le glorieux arbre du monde [Yggdrasil]
Enfoncé dessous terre.

3.
C'était au premier âge
Où il n'y avait rien,
Ni sable ni mer
Ni froides vagues ;
De terre point n'y avait
Ni de ciel élevé,
Béant était le vide [Ginnungagap]
Et d'herbe nulle part.

4.
Puis les fils de Burr [Odin, Vili et Vé]
Suscitèrent la terre ferme,
Eux qui créèrent
Midgardr le glorieux ;
Du sud brillait le soleil
Sur le pavé de la salle, 
Alors la terre se couvrit 
De vertes feuilles.

5.
Le soleil du sud,
Le compagnon de la lune
Étendit la dextre
Vers le rebord du ciel ; 
Le soleil ne savait
Où il avait sa place,
La lune ne savait
Quelle force elle avait,
Les étoiles ne savaient 
Où elles avaient leur site.

6.
Alors tous les dieux montèrent
Sur les sièges du jugement,
Divinités suprêmes,
Et se consultèrent ;
A la nuit et à la lune décroissante
Ils donnèrent un nom, 
Ils nommèrent le matin
Et le milieu du jour,
La fraîche et la brune
Et comptèrent le temps par années.

7.
Les Ases s'assemblèrent
Dans Idavollr [Plaine où vivent les dieux],
Tertres et temples
Ils y érigèrent ; 
Forge placèrent,
Joyaux forgèrent,
Tenailles façonnèrent
Et firent les outils.

Je m'arrête ici car le reste ne concerne plus la cosmogonie à proprement parlé. Il faut allier bien sûr ces strophes avec La Gylfaginning, et voir tout ce que l'on peut en extraire. D'ailleurs, concernant La Gylfaginning, seuls les huit premiers chapitres (sur 54 !) traitent de la cosmogonie, c'est donc tout naturellement que nous nous limiterons à ces chapitres.

Allons-y !!

AU COMMENCEMENT
Au commencement, et bien avant la création du monde, il n'existait que le vide originel, que l'on nommait Ginnungagap ("Abime béant").

Au nord de ce gouffre, il y avait Niflheim ("Monde brumeux"), un monde obscur et glacial ; Au sud, le monde de Muspellsheim ("Monde de la destruction par le feu"), un monde de feu où vit le géant de feu Surt, décrit par Snorri de la sorte : "Il [Surt] est lumineux et très chaud, car cette région n'est que feu et flammes."

Dans le monde de Niflheim coule en son centre la source Hvergelmir ("Chaudron bruyant"), et de cette source jaillissent onze rivières originelles : Svol ("Fraiche"), Gunnthro ("Rogue"), Fjorm ("Prompte"), Fimbulthul ("Grande prophétesse"), Slidr ("Périlleuse"), Hrid ("Bourrasque"), Sylgr ("Gouffre"), Ylg ("Louve"), Vid ("Large"), Leiptr ("Feu du ciel") et Gjoll ("Tumultueuse"). Ces onze rivières sont appelés les Élivagar ("Flots tumultueux" ou "Flots tourbillonnants"). 

En s'éloignant de leur source vers Ginnungagap, les Elivagar vont geler et la vapeur qui émane du venin (car ces rivières sont empoisonnées) se transforme alors en givre. Sous l'effet de la chaleur de Muspellsheim, la glace des Elivagar va fondre et les gouttes qui vont couler vont être à l'origine de la création, puisque cela va engendrer le géant Ymir ("Double") et Audhumla ("Riche vache-à-cornes"), la vache primordiale. Cette vache sans cornes nourrit le géant de ses quatre pis, d'où coulent quatre grands fleuves de lait.

"Des Elivagar rejaillirent des gouttes de venin, crûrent jusqu'à ce qu'il en sorte un géant ; Là, nos races remontent toutes, aussi sont-elles toutes féroces."
Les dits de Vafthrudnir (strophe 31)

Voici donc les deux premières créations, à savoir un géant hermaphrodite et une vache sans cornes. Il est primordial de bien assimiler leur nom respectif, car c'est bel et bien d'eux que tout va s'enchaîner. Cela dit, reprenons.

Du géant primitif, à la fois homme et femme, va naître le premier couple de géants de givres, ainsi que toute la race des géants plus généralement. Ainsi, sous son bras gauche (donc de ses aisselles et de sa sueur) nait le premier couple, et de ses pieds qu'il croise, un géant à six têtes, nommé Thrudgelmir ("puissant hurleur").


" On croit que sous le bras du Thurse du givre crûrent une fille et un fils ensemble ; L'un des pieds du savant géant conçut de l'autre pied un fils à six têtes."
Les dits de Vafthrudnir (strophe 33)

Audhumbla nourrissant Ymir et libérant Buri

Audhumla, elle, se nourrit en léchant un grand bloc de glace, et c'est de ce bloc qu'elle libérera Buri ("Le géniteur") en trois jours, celui que l'on considère comme l'ancêtre des dieux.  Le premier jour, la vache dégage une chevelure ; le deuxième, une tête ; enfin, le troisième jour, le géant tout entier. Buri aura un fils (Avec qui ? nous l'ignorons. Certainement de lui-même !), Borr ("Engendré"), qui aura trois enfants avec la fille d'un géant de glace (Bolthorn) appelée Bestla ("Épouse" ou "Écorce") : Odin ("Fureur"), Vili ("Volonté") et  ("Sanctuaire"). Voici donc les trois premiers Ases, mais un seul d'entre eux deviendra le dieu des dieux (Je vous laisse deviner lequel). Les deux autres (Vili et Vé), étrangement, ont laissé un prénom vide de tout contenu mythologique, et n'interviennent que pour un seul acte : le meurtre d'Ymir.

LA CRÉATION DU MONDE
La création du monde est liée au meurtre d'Ymir, car ce dernier va servir véritablement de matière première aux trois Ases !

Les trois frères décident donc de tuer le géant Ymir (appelé aussi Aurgelmir, Brimir ou encore Blainn selon les récits), qu'ils trouvent trop gênant. Tant de sang jaillit de ses blessures que tous les géants de givre se noient, sauf Bergelmir (fils de Thrudgelmir et petit-fils d'Ymir), qui se réfugie avec son épouse sur un tronc d'arbre évidé. Cela rappelle étrangement une sorte de déluge biblique, avec l'ensemble de la race des géants qui périt SAUF un couple. Faut-il y voir une influence chrétienne, avec des mythes retravaillés lors de leur consignation ? Sans nul doute. Mais il n'y pas de place ici pour ce genre de débat :)

Des membres du géant originel, les trois Ases décident alors de créer le monde. Lisez donc ceci :


"De la chair d'Ymir,
La terre fut créée,
Et de son sang, la mer, 
Les montagnes, de ses os,
Les arbres, de ses cheveux,
Et de son crâne, le ciel.

Mais de ses cils,
Les clémentes puissances firent
Midgard pour les fils des hommes ;
Et de sa cervelle
Furent façonnes
Tous les mauvais nuages."
Les dits de Grimnir (strophes 40 et 41)

Cela est répété dans Les dits de Vafthrudnir :

"De la chair d'Ymir,
La terre fut façonnée,
Et de ses os, les montagnes,
Le ciel, du crâne du géant froid comme givre,
Et de son sang, la mer."
Les dits de Vafthrudnir (strophe 21)

Récapitulons : la terre de sa chair, la mer de son sang, les montagnes de ses os, le ciel de son crâne, les arbres de ses cheveux (ou poils), les nuages de son cerveau, et enfin, Midgard (la grande muraille) de ses cils. Le monde prend ainsi forme !

Ymir mis à mort par Odin, Vili et Vé - Lorenz Frolich (1820-1908)

LA CRÉATION DES HOMMES
La création des hommes n'est pas quelque chose d'extrêmement développé dans la mythologie nordique. Nous savons juste que Odin, Vili et Vé créés le premier couple humain à partir de deux troncs d'arbres : d'un frêne naît Askr (l'homme) ; d'un orme naît Embla (la femme).

Et des vers rongeant le corps d'Ymir naquit la race des Nains.

On pourrait arrêter ici la cosmogonie nordique avec un beau schéma récapitulatif (qui viendra soyez-en sûrs), mais il serait selon moi criminel de ne pas aller plus loin, et de voir désormais l'organisation de ce monde, axé autour d'un arbre légendaire appelé Yggdrasil.

L'ARBRE YGGDRASIL : AXE DU MONDE
L'organisation du monde selon les nordiques est également racontée dans la Voluspa et la Gylfaginning.

Parlons premièrement de la création des Nains, dont les sources divergent. La strophe 9 de la Voluspa dit ceci :

Le chapitre 14 de la Gylfaginning dit par contre ceci :

Toujours est-il que les Nains sont créés du corps d'Ymir, et que quatre d'entre eux soutiennent la coûte céleste : Austri, Vestri, Nordri et Sudri (vous reconnaitrez les quatre points cardinaux).

Ainsi donc l'axe du monde est un arbre cosmique, plus précisément un frêne, nommé Yggdrasil ("Coursier d'Odin"), dont les trois racines s'étendent au-delà du monde habité. Il est très important de comprendre cette figure qu'est l'arbre Yggdrasil dans la culture nordique. Ce dernier est l'arbre cosmique, et il symbolise la stabilité : Il est le pilier du monde.

Comme stipulé juste au-dessus, Yggdrasil a trois grandes racines. La première se situe à Asgard, la seconde dans le monde des géants, à Jotunheim ; enfin, la dernière, à Niflheim, et le dragon Nidhoggr la ronge vers le bas.

Tout en haut de l'arbre siège un aigle, Hraesvelg, dont "on dit qu'il sait maintes choses", mais également un faucon nommé Vedrfolnir ("Couvert de cendres par le vent") perché entre ses yeux. Un écureuil prénommé Ratatosk ("Dent de rongeur") grimpe l'arbre et fait sans cesse le messager entre l'aigle et Nidhoggr ("Celui qui frappe en bas"), le dragon qui vit dans Hel et qui ronge une des racines ; tout cela dans le but de semer la discorde entre l'aigle et le dragon. Il y a aussi quatre cerfs, Dainn, Dvalinn, Duneyrr et Durathor, qui grignotent le feuillage de l'arbre cosmique. Enfin, n'oublions pas la chèvre Heindrun qui vit au sommet d'Yggdrasil et qui se nourrit des feuilles de l'arbre pour produire une abondante quantité d'hydromel. À l'autre extrémité, tout en bas, des serpents rongent les rameaux du frêne.


"Le frêne Yggdrasil
Endure des tourments
Plus qu'hommes ne savent : 
Le cerf broute en haut,
Sur les flancs, il pourrit,
Nidhoggr le ronge en bas."
Les dits de Grimnir (strophe 35)

L'arbre Yggdrasil englobe neuf mondes, en trois niveaux, dont voici la liste : 

NIVEAU SUPÉRIEUR
01. Asgard - Monde des Ases ("Demeure des Ases").
Le monde d'Asgard est relié à celui des hommes par le pont Bifrost, appelé également Asabru. La demeure des Ases comprend une grande partie des halles divines, notamment la Valholl d'Odin, et leur château.
02. Alfheim - Monde des elfes de lumière.
03. Vanaheim - Monde des Vanes.

NIVEAU INTERMEDIAIRE
04. Midgard - Monde des hommes ("Demeure du milieu").
Midgard est une terre entourée d'une mer primitive dans laquelle vit Jormungand, lové autour des terres habitées. Il est relié au monde des Ases par le pont Bifrost (l'arc-en-ciel).
05. Jotunheim - Monde des géants.
Se trouve à Jotunheim la forteresse des géants, Utgard.
06. Svartalfheim (Nidavellir) - Monde des elfes sombres (Nains).

NIVEAU INFERIEUR
07. Muspellsheim -  Monde du feu.
08. Niflheim - Monde du brouillard.
09. Helheim - Monde des morts.



Helheim est fermé par la grille Valgrind ("Grille des morts")

Le monde d'Asgard et celui de Midgard était relié par le pont Bifrost.

LE WYRD
Il est pour moi primordial de prendre quelques lignes pour expliquer ce concept du Wyrd, qui est une représentation du destin dans la mythologie nordique. Retenez bien qu'il s'agit d'un aspect des plus importants dans la pensée nordique. Ainsi, toute chose naît avec un destin et personne ne peut y échapper, pas même les dieux qui doivent s'y soumettre. Leur sort est scellé d'avance et pour donner un exemple frappant, on ne peut que parler d'Odin, dieu du savoir universel, qui sait d'avance que vont arriver les Ragnarök et qu'il mourra de la gueule de Fenrir. Cela ne l'empêche pas pour autant de réunir dans sa halle ses guerriers d'élites, les Einherjar, pour préparer l'affrontement final, dont il connaît pourtant la funeste issue.

Au fil de vos lectures, vous remarquerez que les dieux n'hésitent pas à parler de la destinée d'autres dieux, comme par avertissement.